Interview du PDG d’UAVIA, Pierre Vilpoux, sur notre collaboration au projet AUSEA (Airborne Ultra-light Spectrometer for Environmental Application) de Total Energies et du CNRS

Pierre vilpoux uavia ausea (3)

UAVIA investit massivement pour rendre le monitoring et la quantification de gaz à effet de serre et émissions toxiques autonomes, via des drones ou autres robots intelligents. 

QUE FAIT UAVIA ?

UAVIA est un éditeur logiciel qu’on appelle de technologies profondes, Deep Tech.

Ce qu’on fait, c’est qu’on fournit une infrastructure logicielle qui permet à des gens comme Total Energies d’utiliser assez largement des drones sur tous les sites industriels, sans pilote, de la manière la plus simple possible, la plus sécurisée possible, pour traiter et mettre de l’intelligence dans la donnée. 

COMMENT ÇA SANS PILOTE ?

C’est à dire qu’on vient mettre une intelligence embarquée à l’intérieur des drones qui remplace le pilote. Il y a des moyens de communication, il y a une intelligence artificielle embarquée qui fait qu’on donne depuis une interface unifiée, quelque soit le drone, des ordres de haut niveau pour dire au drone « va mesurer ceci », « va observer cela », « fait une levée de doute ».

Et le drone reçoit l’ordre, l’interprète et décide tout seul comment il va faire la mission en navigation autonome, avec un maximum de prise en compte des enjeux de sécurité, sur des sites souvent réputés dangereux. 

QUELS SONT LES BÉNÉFICES POUR VOS CLIENTS ?

Si on parle par exemple de l’usage AUSEA qui est un usage important pour Total Energies : quand vous déployez des drones, vous envoyez sur site des télépilotes avec une machine. (Les télépilotes sont des gens qui sont formés, c’est un métier particulier qui n’est pas le métier de l’Energie), et qui arrivent pour faire une mission. La personne en question est une spécialiste du drone, elle n’est pas une spécialiste du métier, elle ne sait pas ce qu’elle doit mesurer. 

Donc le fait de pouvoir s’affranchir de ça, ça veut dire que les gens qui télé opèrent à distance les opérations peuvent être à distance, n’ont pas besoin d’aller sur une plateforme offshore, peuvent être derrière leur bureau. Eux ils savent exactement ce qu’ils cherchent, ce sont des spécialistes de la donnée, de la donnée des émissions, et ils donnent des ordres de haut niveau et du coup l’opération devient très simple à monter :

Un drone peut être laissé à poste. Il a notre intelligence embarquée. Il reçoit l’ordre depuis ici, la coupole éventuellement, il fait sa mission et les données sont retransmises en temps réel avec l’interprétation qui est faite.

POURQUOI L’AUTONOMISATION C’EST L’AVENIR DU MONITORING DE NOS ÉMISSIONS ?

Qui dit autonomisation dit passage à l’échelle. Nous on part du principe qu’un industriel qui émet des émissions polluantes doit avoir le moyen de comprendre ce qu’il émet de manière précise, pour pouvoir agir dessus et monitorer les progrès qui sont faits. À partir du moment où on veut systématiser ces opérations là, il faut aller vers des solutions autonomes et intelligentes.

On rajoute de l’intelligence dans la captation de la donnée. Elle est beaucoup plus exhaustive grâce à l’intelligence embarquée qu’on y met que si on n’était pas là et le déploiement de ces solutions est beaucoup plus simple et beaucoup moins onéreux. Donc oui on pense que c’est vraiment l’avenir de ce type de mesure. 

QUELLE EST L’HISTOIRE DE VOTRE PARTENARIAT AVEC TOTAL ENERGIES ET LE CNRS?

Alors l’histoire est assez intéressante : on a commencé à collaborer, UAVIA et Total Energies, en 2018, sur des enjeux qui ne touchaient pas aux émissions. On ne connaissait pas le projet au départ. En fait on a mis de l’intelligence dans les opérations drones d’abord pour des enjeux HSE, gestion de crise, maintenance, inspection des installations, et puis levée de doute sur de la sûreté.

La sûreté pour nous s’inscrivait déjà dans un sujet environnemental, c’est-à-dire que vous opérez des sites qui sont dangereux et qui si ils sont mis à mal peuvent générer des catastrophes environnementales. Donc on a commencé à faire ça et nos technologies ont été prouvées. Et à ce moment-là, il y a une transversalité qui s’est opérée chez Total Energies. On nous a présenté l’équipe AUSEA en disant « peut-être que pour ce projet-là, ce que vous amenez technologiquement dans les opérations drones peut être intéressant. » 

Et c’est le cas, c’est-à-dire que le CNRS et Total Energies collaboraient pour la réalisation d’un capteur, et ce capteur était destiné à être embarqué sur des drones avec un environnement complexe, des pilotes, pour faire des mesures qui allaient être prises sur les sites et traitées en différé. A partir du moment où on a commencé à collaborer, on s’est rendu compte qu’on avait une complémentarité parfaite avec le CNRS : c’est-à-dire que leur capteur était accroché sur un drone, on rajoutait notre intelligence embarquée, on venait processer leurs algorithmes à l’intérieur du drone, on venait accélérer la performance et la vitesse de processing.

Ce qui fait que, pour rester sur des sujets assez simples, les mesures qui étaient à l’origine à peu près de 2 à 4 hertz donc 2 à 4 mesures par seconde, on a réussi à les optimiser à 24 hertz. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’entre deux points de mesure sur une plateforme pétrolière, on est passé à peu près d’1 mètre 50 à 20 cm. Ça permet quoi ? ça permet d’avoir une vitesse accélérée du drone, donc des opérations qui durent moins longtemps, qui ne sont pas interrompues par l’autonomie du drone, et ça permet d’éviter de rater des pics d’émission. 

On peut avoir des émissions de méthane qui sont identifiées sur un mètre et à ce moment-là, nous on peut avoir des mesures exhaustives. Et l’accélération fait aussi qu’on peut re boucler sur la navigation autonome du drone. C’est-à-dire que notre intelligence embarquée vient processer les données, le drone a les mesures de concentration et en fonction de ce qu’il mesure, il va venir adapter ses algorithmes de navigation autonome pour être sûr de tout mesurer et de ne pas aller voler sur des endroits où il ne se passe rien. Et tout ça va vers l’amélioration des performances, l’exhaustivité des données pour après avoir un dimensionnement des volumes plus précis, et la facilité d’utilisation.

AUSEA, UNE PREMIÈRE MONDIALE, QUELS ENJEUX ?

C’est un enjeu comme je le disais de performance et de qualité des mesures. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, j’espère que la plupart des industriels qui génèrent des émissions de méthane et de CO2 ont des activités autour de ça. 

Aujourd’hui Total Energies ne s’est pas contenté de l’existant et est allé chercher, en faisant de la R&D avec des partenaires, avec le CNRS et avec nous, des performances plus avancées. À partir du moment où on obtient ces résultats là, nous ce qu’on est en train de faire, on investit aussi de notre côté massivement, à côté de ce que nous finance Total Energies. Pour faire de ces enjeux là des standards technologiques qui puissent se propager même au-delà des polluants type méthane CO2, donc au-delà des gaz à effet de serre, sur d’autres polluants. Pour que l’industrie globalement puisse adopter ce genre de procédés, les standardiser et que ça devienne, je dirais, une pratique de marché courante. 

Et ça, de mon point de vue, c’est extrêmement vertueux parce qu’une nouvelle fois, on ne peut pas imaginer qu’un industriel ne se serve que de données qui viendraient, on va dire, de vision satellite, on va dire d’un gendarme de la planète pour agir tardivement lui-même sur ses émissions. Donc à partir du moment où il emmène le mouvement vers le développement de solutions qui lui permettent de comprendre plus précisément ce qu’il fait, c’est comme ça qu’on met en marche, je dirais un processus vertueux vers la minimisation des émissions. 

EN QUOI LA SOUVERAINETÉ DES DONNÉES CHANGE LA DONNE ?

Ce qui est évident pour moi, c’est qu’un industriel qui ne se donnerait pas les moyens de monitorer avec grande précision ses propres émissions, n’engagerait pas le mouvement vers la réduction de celles-ci. 

Si vous voulez aujourd’hui il y a des initiatives au niveau mondial, je ne sais pas si vous connaissez Climate Trace, donc des satellites qui observent la Terre et qui permettent de dimensionner les émissions de sites. Et après potentiellement de taper sur un industriel ou sur un pays en lui disant : vous émettez tant. 

Alors le constat est fait ? Tout le monde dit “quand on regarde un problème on l’a déjà résolu”? Sauf que non, celui qui regarde le problème ne peut pas le résoudre. Et donc la démarche souveraine d’un industriel qui fait des investissements de R&D pour se donner les moyens d’être précis et systématique sur ses mesures de polluants, c’est en tout cas de mon point de vue, le signe qu’il fait ça pour quelque chose et donc probablement pour réduire ses émissions. 

Je ne connaissais pas du tout le métier de la production d’énergie. Moi je suis un spécialiste des télécoms et de l’IA. Le sujet nous engage, il engage toute mon équipe. C’est devenu la majorité de nos investissements, on veut s’orienter vers ce sujet là. Aujourd’hui, le fait de contribuer à ça, nous, société technologique, on considère que l’on met notre pierre dans l’édifice qui permettra d’aller vers des énergies plus propres. Se dire qu’avant nos solutions, y compris sur des mesures par drones, un industriel ou une entité qui mesure puisse manquer ou ne pas être exhaustif dans ses émissions, pour moi, ça veut dire qu’on améliore la situation de manière assez importante. 

EN QUOI AUSEA EST DIFFÉRENCIANT POUR UAVIA ? 

Pour moi, ce projet est très différenciant pour nous parce qu’il met en œuvre l’ensemble de nos technologies, je dirais au maximum de leurs performances.

C’est toujours passionnant de se dire qu’on innove, qu’on pousse des barrières technologiques et qu’on le fait au service d’un sujet, d’un usage, qui fait du sens pour l’ensemble de nos équipes, pour l’ensemble de nos actionnaires, et potentiellement pour l’ensemble de nos clients. Il est différent parce qu’à mon avis à date personne d’autre n’a implémenté ce qu’on fait avec le CNRS et Total Energies.

Maintenant l’objectif ni pour Total Energies ni pour nous, n’est pas de garder ça comme une technologie secrète, je pense que Total Energies va le déployer globalement sur tous ces sites, et nous on va avancer sur notre technologie pour faire en sorte que les mesures de ce type là, y compris avec des partenaires comme le CNRS, deviennent des standards de marché. Pour que l’industrie au sens large puisse s’approprier ces technologies là avec chacun leur particularité (tout le monde n’émet pas la même chose, il y a différentes formes de polluants, il y a différents capteurs). Et nous on va essayer de standardiser nos technologies, toujours en étant au maximum des performances possibles pour que cela devienne un standard mondial, un standard adopté par toutes les industries. Donc oui je pense que c’est une brique absolument essentielle sur tous ces sujets-là.

EST-CE QUE LES CIBLES D’UAVIA SONT UNIQUEMENT LES SITES OFFSHORE ?

Non pas du tout. J’ai cité les sites offshore parce que ce sont les plus complexes. À partir du moment où on arrive à faire des choses efficaces sur des sites offshore, en gros on sait le faire partout. Il y a un truc qui est peut-être un petit peu plus simple en offshore, c’est le côté réglementaire. Puisque souvent on est en dehors des eaux territoriales ou pas directement, donc en gros les administrations locales sont probablement moins regardantes. Mais en réalité, une société comme Total Energies a des procédures HSE qui sont souvent beaucoup plus strictes que ce qu’imposerait un régulateur.

Donc l’un dans l’autre, on arrive à faciliter les opérations sur des sites offshore mais tous les sites de production et de transformation sont des sites soit d’émissions de gaz à effet de serre, soit des sites qui présentent des risques, type SEVESO, d’émission de polluants en cas d’accident industriel. 

Donc l’objectif de nos technologies, c’est la mesure, le monitoring en continu des émissions de gaz à effet de serre. Et puis c’est aussi d’être en capacité sur d’autres enjeux de faire des mesures plus spots, mais automatiques, très réactives, en cas de problème industriel pour notamment que les industriels ou les forces de sécurité, les pompiers, puissent prendre des décisions.

Aujourd’hui quand vous avez un accident industriel comme il y en a eu récemment, y compris en France, vous avez des modèles de propagation de polluants toxiques. Les pompiers ont accès à ça et doivent prendre des décisions sur des modélisations, potentiellement d’évacuation de zones pour protéger les gens. Le fait d’avoir la capacité quasiment en temps réel de venir vérifier ces modèles prédictifs pour confirmer ou infirmer ce qui est en train de se passer, c’est un autre enjeu clé qu’on va aborder chez UAVIA à partir des mêmes technologies. 

QUELLES SONT AUJOURD’HUI LES ASPIRATIONS D’UAVIA ?

Une société comme la nôtre se déploie progressivement, trouve des débouchés particuliers et un jour, il y a un sujet dont on se rend compte qu’il est général, d’actualité, d’urgence, qu’il présente une traction importante et que votre technologie amène quelque chose de particulier. On est exactement dans ce cas là.

Donc on a décidé au début de l’année avec nos investisseurs de mettre un plan d’investissement sur quatre ans, majeur, pour aller le plus vite possible et le plus loin possible sur la généralisation de ces solutions.

Et notre aspiration elle est simple : c’est de devenir le leader mondial de ces technologies.